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Chypre: Le nouveau visage du capitalisme Par Maria Negreponti-Delivanis-Discours présenté à l’Académie Roumaine des Sciences le 30.05.2013

Chypre: Le nouveau visage du capitalisme
Par Maria Negreponti-Delivanis-Discours présenté à l’Académie Roumaine des Sciences le 30.05.2013
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La récente attaque contre les déposants des banques chypriotes s’inscrit dans la guerre économique faite par le nord de l’Europe à son sud, qui a commencé dès la création de l’Union Européenne-zone euro et se poursuit selon des méthodes de plus en plus violentes et ostensibles.
Utilisant comme cheval de Troie la dette publique, les Etats riches du nord saignent les plus faibles, les vident de leurs richesses, réduisent l’une après l’autre leur économie comme peau de chagrin, confisquent leurs recettes publiques, la propriété privée mais aussi des gisements sous-marins ou souterrains.
Au cours des dernières décennies, un déplacement des richesses d’une ampleur gigantesque s’est opéré du nord vers le sud à travers l’excédent commercial constant et élevé d’un côté, surtout de l’Allemagne, et de l’autre, un déficit commercial constant.
L’attention portée sur la dette publique, accusée d’être l’une des causes essentielles des difficultés de l’Europe du sud, mais aussi l’austérité barbare, n’aspirent aucunement à régler le problème mais au contraire, à le perpétuer.
Ce que vient de subir Chypre et qui, sans exagération aucune, relève de la rapine, a introduit une méthode pour racketter les comptes bancaires, directe, dénuée de tout scrupule, sans autre raison que le « fais ce que je dis » du conquérant qui appauvrit et asservit le vaincu et qui, en pleine tempête soudain annoncée, lui soustrait ce qui pour beaucoup, constitue le fruit de toute une vie de travail. Pour l’instant, mais pour l’instant seulement, les dépôts de moins de 100 000 euros sont pas touchés. Or, il est évident que rien ne sera fait pour que les petits déposants soient épargnés et ce, pour trois raisons très simples :
1.     Les grands déposants ont pu échapper au racket en retirant leur argent à temps et sans aucune restriction, à partir des succursales établies à Londres et qui étaient restées ouvertes – ce qui n’est bien sûr pas un hasard –, contrairement aux banques de l’île qui avaient reçu l’ordre de fermer. Ainsi la quasi-totalité des dépôts des oligarques russes – qui représentent  environ 20% des dépôts dans les banques de Chypre – a disparu pour un montant estimé entre 4 et10 milliards d’euros. En d’autres termes, ce sont les comptes grâce auxquels on espérait renflouer la dette de 5,8 milliards d’euros qui se sont volatilisés, cette même dette qui a servi officiellement de prétexte à ce racket à grande échelle. Le coup porté à l’économie de l’île est très dur. Un détail, que d’ailleurs chacun peut interpréter comme il veut : « La Banque Centrale de Chypre a emprunté auprès de la BCE plus de liquidités que ce dont elle avait réellement besoin pour couvrir la demande des succursales de Londres ».  
2.     Par ailleurs, la garantie qui couvre les comptes jusqu’à 100 000 euros n’a aucune raison d’être puisqu’il est possible d’avoir jusqu’à 100 000 euros dans un nombre illimité de banques, aussi bien dans le pays de résidence qu’à l’étranger.
3.     Enfin, ce principe vient déjà d’être relativisé par les déclarations de certains dirigeants de l’UE qui n’excluent pas que dans l’avenir, une « coupe » dans les comptes de moins de 100 000 euros sera nécessaire afin de sauver le pays.  
Il ressort par conséquent que ce racket visait les petits déposants et les déposants modérément riches, et non les déposants riches et importants. Et que ce racket s’inscrit dans la concentration toujours plus exclusive de la richesse dans les mains d’oligarques de plus en plus puissants au niveau planétaire, et qui a commencé il y a une quarantaine d’années.
 
Je vais essayer, le plus brièvement possible, de répondre aux questions suivantes :
1.  Quelles raisons officielles ont été avancées pour justifier ces mesures dont le moins qu’on puisse dire est qu’elles sont immorales, et quelles en sont les vraies raisons ?
2.  Que signifie ce racket ?
3.  Quel en sera l’impact possible ?
1.     Raisons officielles et raisons réelles
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Presque toutes les raisons évoquées pour justifier cette mesure s’effondrent comme un château de cartes, compte tenu du fait que la dette chypriote ne représente que 0,2% du total européen, lequel s’élève à plus de 8 milliards d’euros. Alors, il est ridicule de soutenir que l’UE, sentant l’euro menacé par la dette chypriote, a été contrainte d’introduire une nouvelle condition à la stabilité financière : l’équilibre entre dépôts et PIB d’un Etat-membre donné. Rappelons ici que la Grèce a été choisie pour soi-disant « sauver l’euro » avec une dette inférieure à 2,5% du total européen, devenant ainsi le premier animal du laboratoire de l’UE à subir la « dévaluation interne ». Je reviens à Chypre dont le volume disproportionné des dépôts par rapport à son PIB représentait, dit-on, une menace pour l’euro. Hormis ce raisonnement complètement arbitraire, étant donné que les dépôts étrangers, en tant qu’investissements directs étrangers, sont l’objet d’une convoitise obsessionnelle de la part de nombreuses économies nationales, et hormis le fait que jamais dans le passé, il n’a été question de cette condition à la stabilité, il ne faut surtout pas négliger le caractère sélectif particulièrement scandaleux du racket dont il est ici question. Je veux dire que le rapport dépôts/PIB à Chypre était de sept pour un – tout comme l’Irlande -, tandis qu’il était de vingt-deux pour un au Luxembourg, et de huit pour un à Malte. Selon quels critères alors est-ce Chypre qui a été choisie pour être rackettée ? A l’argument ci-dessus est venu s’ajouter un autre, qui a circulé par contre beaucoup plus discrètement : il semblerait que l’UE n’appréciait pas la relation particulière qui liait l’île aux oligarques russes qui y concentraient leur richesse, et qu’elle ait voulu rompre cette relation en s’attaquant aux comptes russes. En fin de compte, le racket n’a pas vraiment touché les dépôts russes dont une grande partie a pu être mise en sûreté, mais ceux des petits et moyens déposants chypriotes qui n’ont pas pu accéder à leurs comptes, les caisses de retraites, des salariés, d’investissements publics et de l’église. Un troisième argument est avancé pour justifier cette mesure effectivement inadmissible contre Chypre, l’accusant de « blanchir de l’argent sale ». La « vertueuse » Union Européenne serait donc intervenue pour mettre un terme à l’illégalité. Or, comment peut-on expliquer ce racket sur une simple présomption contre un Etat dont le PIB ne représente que 0,2% du PIB de l’UE ? Les dirigeants ne sont-ils donc pas dérangés par les grandes blanchisseries du Luxembourg, de Suisse, de la City de Londres, d’Irlande, de Belgique, mais aussi d’Allemagne ?
Et, au-delà des questions posées plus haut, je me demande ce qu’est devenu l’accord sur la recapitalisation des banques par le MES créé pour ne pas alourdir la dette des Etats concernés. N’y a-t-il pas eu d’accord conclu le 29 juin 2012 à l’issue du Sommet Européen ? Pourquoi alors n’a-t-il pas été appliqué à Chypre aux conditions posées par l’UE ?
Les vraies raisons de ce racket « légal » semblent tout autres : 
*premièrement, s’en prendre d’abord au maillon le plus faible et continuer pour faciliter le transfert direct et simplifié des richesses du sud (pauvre) vers le nord (riche) ;
*deuxièmement, couvrir ainsi les lourdes pertes enregistrées par la Banque Centraled’Allemagne, dont le montant reste inconnu mais est estimé à environ 12 milliards d’euros ;
*troisièmement, attirer une part importante des dépôts européens en Allemagne, à l’abri de toute restructuration, comme l’a claironné son Ministre allemand des finances, M. Wolfgang Schäuble ;
*quatrièmement, faire que Chypre ne soit plus une place forte de l’activité bancaire, pour aller dans le sens des intérêts de l’Allemagne.
Et enfin, n’oublions pas que ce sont les dirigeants de l’UE qui sont les grands responsables de ces crises des banques européennes puisqu’ils se sont abstenus d’imposer un contrôle efficace de leurs activités. 
Cette attitude malséante sert à justifier les projets infernaux à long terme qui sont en train d’être mis en place. Citons par exemple l’effort fait pour appauvrir le plus possible les économies sous occupation étrangère pour cause de dette, de sorte à éliminer tout risque de réaction au moment du « prenez tout ce que vous voulez » contre un plat de lentilles.
2. Que signifie ce racket ?
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A cette deuxième question, il y a plusieurs réponses, même si la plupart n’ont pas encore été mises en œuvre. Je vais en exposer brièvement quelques-unes, qui montrent que le racket de Chypre dissimule plus qu’il ne laisse paraître :
*Pour commencer, le changement du capitalisme en capitalisme racketteur. Introduit en Europe par l’Allemagne, il ne respecte pas même ses propres principes, puisqu’il va jusqu’à supprimer l’épargne, moteur essentiel du développement. Dans les faits, il vise bien sûr la concentration de la quasi-totalité de la richesse dans les banques et dans les mains de ceux qui évoluent autour, le reste de la population devant se contenter du simple statut de prolétaire.
*Il signifie aussi que l’économie qui nous était enseignée jusqu’à présent est devenue obsolète et marque la naissance d’un siècle de rançonnement économique à caractère mafieux, d’économie d’exploitation absolue du travail, mais aussi de sociétés sans classe moyenne.
*Ce tournant décisif marque aussi une révision radicale de la façon de produire qui n’est plus centrée sur les produits destinés à satisfaire les besoins de base, puisque la demande diminuera en même temps que la paupérisation des classes ouvrière et moyenne, mais sur la production de biens et de services de luxe et semi-luxe.
*Il signifie une baisse significative des naissances et de la population, puisque le nouveau modèle d’économie ne permettra plus d’entretenir de familles nombreuses. Cette tendance a commencé en Europe, où les chômeurs sont en constante  augmentation.
*Il signifie que l’évolution de la compétitivité en Europe dépendra en grande partie de la capacité de l’Allemagne à imposer ses plans d’assujettissement de l’Europe. Mais pour de multiples raisons, la réussite n’est pas forcément au bout, heureusement.
3.Quel en sera l’impact possible ?
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Dans l’immédiat, cette mutation du capitalisme peur entrainer :
         une fuite massive des capitaux hors d’Europe vers des destinations plus sûres ;
         une confusion entre l’épargnant qui n’a pas à assumer à priori des risques, et l’investisseur qui prend des risques récompensés par le profit ;
         la disparition de toute garantie des placements dans des banques européennes ; n’oublions pas qu’une restructuration a été effectuée sur les obligations grecques ;
         une diminution massive des placements d’épargne dans les banques puisqu’ils ne sont plus aussi sûrs qu’avant – même si les dirigeantseuropéens s’efforcent de nous convaincre du contraire – et recherche d’une valeur sûre dans la thésaurisation, l’or et autres métaux précieux et dans le placement immobilier ; – malgré les taxes et à condition bien sûr que le racket des banques n’en vienne pas à confisquer aussi les biens immobiliers ;
         une restriction massive de la libre circulation des capitaux et donc de la mondialisation, qui sera amenée à évoluer, à se faire moins officielle et moins visible ;
          une menace peut-être fatale pour l’euro qui recevra une raclée  formidable en plus des difficultés multiples déjà existantes.
Et je finis par une citation tirée de la Politiqued’Aristote : « Un principe de la tyrannie est d’appauvrir les sujets pour que, d’une part, sa garde ne lui coûte rien à entretenir, et que, de l’autre, occupés à gagner leur vie de chaque jour, les sujets ne trouvent pas le temps de conspirer ». 

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