Par Maria Negreponti-Delivanis
La dégradation en chaîne de la situation au sein de la zone euro, ces deux dernières années et plus encore ces derniers mois, ne permet plus d’occulter la terrible réalité. Le fossé se creuse de plus en plus entre le Nord riche de l’Europe et le Sud, pauvre et surendetté et ne laisse plus aucun espoir de rapprochement. En cause, la rudesse avec laquelle la Commission Européenne a entrepris d’affronter le problème des économies endettées qui révèle surtout l’absence totale de toute forme de cohésion et de solidarité entre les Etats-membres. Mais plus triste encore, c’est d’avoir cru qu’un tel projet était possible. L’enthousiasme des années 50 et 60, surtout chez les jeunes, pour une Europe des peuples unie, et toutes ces belles promesses autour de sa création, tout cela n’était soutenu par aucune base solide. C’était en fait une façon séduisante de détourner les populations de la vraie visée des principaux artisans de l’Union lesquels, notons-le, étaient de même nationalité que leurs successeurs d’aujourd’hui. Ainsi l’Allemagne, qui voyait dans l’Union Européenne la concrétisation enfin de son rêve ; ce rêve qui avait échoué à deux reprises, à savoir la domination de l’Europe. Ainsi, la réunification allemande[1] ne se fit pas sans concessions puisqu’il lui fallut abandonner le Mark en échange de la monnaie unique. Quant à la France , l’autre pays à l’origine de la création de l’Europe unie, ses préoccupations étaient dès le début – et continuent d’être – de moindre envergure. Ce qu’elle voulait, c’était juste s’assurer une position stable de leader en Europe. Or, la France a un problème, qui explique en partie sa totale identification aux choix de l’Allemagne[2], c’est sa position géographique. Mais, que son économie appartienne à l’Europe du Sud ou à l’Europe du Nord, son désir ardent est de faire partie de celle du Nord.
La situation toutefois n’était peut-être pas aussi cynique dans les premiers temps. Les fondateurs de l’Union Européenne avaient probablement les meilleures intentions et ils croyaient même l’accomplissement de leur projet possible. Pour ma part, je veux croire que les pères de l’Europe[3] s’étaient démenés pour y garantir paix, démocratie, égalité, prospérité pour tous, croissance rapide et plein emploi, et qu’ils seraient atterrés de voir comment leur œuvre grandiose a dégénéré[4]. Ils verraient avec effroi que non seulement leur projet initial ne s’est pas concrétisé, mais qu’en plus une guerre larvée et ravageuse sévit en son sein, entre le Nord et le Sud. Un conflit terrible et original dans sa forme, sans armes de destruction massive mais dont les moyens s’avèrent plus drastiques, plus efficaces et plus délétères que les armes traditionnelles[5]. En effet, l’Allemagne, utilisant comme cheval de Troie la dette du Sud, semble être entrée dans la phase accélérée de concrétisation d’un plan d’assujettissement du Sud, nouveau type de colonisation, et dont elle serait le chef incontestable. En dehors des vues ostensiblement expansionnistes de l’Allemagne, ce projet démoniaque trouve un appui dans l’évolution rapide de l’économie mondiale qui menace de marginaliser l’Europe et l’Occident tout entier. Il s’agit surtout de la concurrence intensifiée avec les économies émergentes, notamment la Chine. Il s’agit de la compétitivité de l’Allemagne[6], sérieusement mise à mal et qui pour s’en sortir a besoin, semble-t-il, de main d’œuvre en abondance et bon marché. C’est exactement ce que pourrait lui assurer l’Europe du Sud[7], si celle-ci finit par se soumettre à son hégémonie.
Dans ce rapport, je vais tenter de montrer dans quelle mesure l’heure de la fin est venue pour l’Europe du Sud, victime volontaire d’une union économique dont les lignes directrices avaient été tracées, dès le début, pour servir avant tout ses partenaires les plus puissants. Pendant des dizaines d’années, le Sud a vu s’éroder et se désorienter ses capacités de développement, il a pâti d’une exploitation cachée et constante des pays riches du Nord[8], et doit être sacrifié sur l’autel des projets réactivés de l’Allemagne.
La première partie de ce rapport portera sur l’attaque ouverte particulièrement violente menée par les pays du Nord de l’Europe contre le Sud, Allemagne en tête évidemment. Dans la deuxième partie, on se penchera sur les conséquences de cette mise à sac, pour
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